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Le Dr Roman Wittig a cœur ouvert :  « Nous devons travailler avec la population locale qui vit à la frontière du Parc national de Taï . Elle doit comprendre le danger et les risques qu'elle prend en chassant et en mangeant les animaux de la forêt ». 


Ange Koné Aminata : Présentez vous svp !


Roman Wittig : Je suis le docteur Roman Wittig. Je Sui le directeur du Taï Chimpanzee Project (TCP) depuis 2012. J'observe le comportement des chimpanzés sauvages dans le parc national de Taï depuis 1996.

Le Taï Chimpanzee Project a été fondé en 1979 par Christophe Boesch. Il est venu au parc national de Taï pour comprendre le comportement des chimpanzés en matière d'utilisation d'outils. Cela fait du projet l'un des programmes d'observation des chimpanzés les plus durables au monde.

 

 A.K.A. : En raison de la richesse et du caractère unique du parc national de TAI, celui-ci est inscrit au patrimoine mondial depuis 1982. A votre avis, qu'est-ce que cela a apporté de plus ?


R.M. : Le Parc National de Taï bénéficie déjà de la plus haute protection en matière de conservation. Il est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Personne ne doit y entrer ou en sortir sans autorisation.

Néanmoins, traditionnellement, les habitants de la région vont dans la forêt et chassent les animaux pour la viande de brousse. La chasse est malheureusement toujours un gros problème dans le parc national de Taï, bien que les autorités du parc fassent de leur mieux pour réduire ce phénomène.

Aujourd'hui, les champs s'étendent jusqu'à la frontière du parc national. Il y a vingt-cinq ans, la plupart de ces champs n'existaient pas encore. Lorsque je suis venu pour la première fois à Taï, je traversais encore de grandes forêts avant d'atteindre la frontière du parc national. Aujourd'hui, cette forêt a été transformée en champs de cacao, de caoutchouc et de café. Il n'y a plus de forêt avant la frontière du parc.

Enfin, il y a un autre problème. Les chimpanzés étant nos plus proches parents vivants, nous pouvons leur transmettre des maladies et ils peuvent nous en transmettre. Ces transmissions de zoonoses peuvent devenir problématiques pour la santé d'une espèce, comme nous le savons depuis la pandémie de Covid19. Ce qui n'est qu'un simple rhume pour nous peut être très grave pour les chimpanzés.

Aucun de ces problèmes ne peut être résolu par la simple création d'un parc national ou d'un site du patrimoine mondial. La protection doit être mise en œuvre de manière durable. Nous devons améliorer notre protection contre le braconnage, la perte d'habitat ou la transmission de maladies.


A.K.A. : Que faire pour que les règles soient respectées ?


R.M. : Les actions aux différents niveaux doivent être menées en combinaison. Tout d'abord, nous devons travailler avec la population locale qui vit à la frontière du parc national. Elle doit comprendre le danger et les risques qu'elle prend en chassant et en mangeant les animaux de la forêt. Nous menons de telles campagnes de sensibilisation avec nos partenaires, la Wild Chimpanzee Foundation et l'Office Ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR).

Le niveau suivant est le niveau national. La menace potentielle pour la population humaine due à la chasse et à la perte de biodiversité est un facteur important pour la Côte d'Ivoire. La perte de forêt n'est pas quelque chose qui va se rétablir en quelques années, cela va prendre des décennies.

Enfin, il y a le niveau international où nous avons besoin du soutien d'autres gouvernements, qui comprennent que le chimpanzé d'Afrique occidentale est en danger critique d'extinction. Ils ont connu un déclin considérable au cours des vingt-cinq dernières années, plus de 80 % de la population ayant disparu au cours d'une seule génération.

Au niveau international, nous devons donc trouver un moyen de renforcer la protection internationale de l'espèce. En fin de compte, ils devraient être protégés du commerce des animaux de compagnie, ne devraient pas être chassés pour leur viande et nous ne devrions pas détruire leur habitat.


A.K.A. : Pourquoi le parc national de Taï est-il si important pour l'étude des chimpanzés ? 


R.M. : Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, les chimpanzés de Taï ont une culture très particulière. Les chimpanzés ont des cultures différentes, en fonction de leur lieu de naissance, comme les humains. Ils apprennent de leur mère. Ils apprennent de leurs pairs comment être un chimpanzé.

Dans le parc national de Taï, ils ont créé au fil des générations une culture du cassage des noix et cette culture du cassage des noix est transmise d'une génération à l'autre. Il est donc très important de comprendre le caractère unique de chaque population de chimpanzés. Et les chimpanzés du parc national de Taï sont particulièrement coopératifs. Ils ont des techniques de chasse collaboratives, ils collaborent à de nombreux autres niveaux et cela les rend un peu spéciaux par rapport à de nombreux chimpanzés d'autres populations, où les individus sont plus compétitifs au sein du groupe.

Et puis il y a une autre raison, dans nos recherches sur nos plus proches parents vivants, nous comprenons ce que nous sommes, nous comprenons pourquoi nous sommes agressifs ou pourquoi nous sommes capables de construire un vaisseau spatial pour aller sur la lune.

Parce que cette base de compréhension de la manière dont les cultures sont construites et dont les connaissances sont transmises a façonné notre propre évolution. Cela nous aide à comprendre d'où nous venons et quelles sont les bases de notre comportement?


A.K.A. : Pensez-vous que ce mode de collaboration les rend plus forts pour survivre ?


R.M. : Les individus qui collaborent mieux ont des avantages pour se reproduire. Cela signifie qu'un groupe collaboratif est plus apte à résoudre des problèmes de groupe qu'un groupe non collaboratif, et qu'au final il a une meilleure survie.


A.K.A. : Pourriez-vous nous faire part de certains résultats intéressants ?


R.M. : Je pense que l'un des résultats les plus intéressants de ces dernières années est la façon dont les chimpanzés gèrent la perte de leur mère.

Il y a beaucoup d'orphelins dans les communautés Tai. Certaines mères ont été tuées par des braconniers, d'autres par des léopards, d'autres encore par une maladie.

Un enfant a besoin du soutien de sa mère jusqu'à l'âge de cinq ou six ans, s'il veut survivre. Si les orphelins sont plus jeunes, la seule chance de survivre est que quelqu'un vous adopte. Certains chimpanzés adultes adoptent des orphelins. C'est quelque chose de très rare chez les animaux ; quelque chose que nous croyons typiquement humain. Cependant, les chimpanzés ont de l'empathie. Ils adoptent ces petits pour les aider. Ce ne sont pas seulement les parents qui le font, mais même les chimpanzés non apparentés. L'un des résultats est que ces orphelins doivent apprendre encore plus longtemps que si leur mère était encore avec eux. Ils doivent encore apprendre plus longtemps à casser des noix, par exemple. Leurs courbes d'apprentissage ne sont donc pas les mêmes, c'est un peu comme ce que nous connaissons chez les humains pour les enfants qui perdent leurs parents.

Ils sont non seulement privés d'amour, mais aussi de contenu social, c'est-à-dire qu'ils sont privés d'apprentissage, ils sont privés de leurs pairs. Tout cela arrive aux orphelins des chimpanzés.


A.K.A. : Très intéressant. Même s'il s'agit d'animaux, est-ce une décision personnelle pour une femelle ? ou est-ce la pression de la communauté qui pousse un chimpanzé à adopter un orphelin ?


R.M. : Souvent, ce sont les mâles qui adoptent les orphelins. Une des raisons pourrait être l'hypothèse d'une communauté forte: plus une communauté compte de membres, et surtout de mâles, plus elle est performante. Par conséquent, elle peut mieux rivaliser avec les autres communautés. Cela signifie que les mâles peuvent aider leurs propres descendants vivant dans une communauté forte en adoptant et en soutenant des orphelins. De cette façon, tous les jeunes s'en sortent mieux à l'avenir.


A.K.A. : Que voulez-vous ajouter à cette interview ? Il y a peut-être quelque chose que vous voulez me dire et que je ne vous ai pas demandé.


R.M. : Je suis sur le point de perdre la bataille contre la perte des populations de chimpanzés existantes. Les chimpanzés sont nos plus proches parents vivants. Ils sont à plus de 99 % humains, ils sont plus proches de nous que des gorilles. Cela signifie qu'un chimpanzé est plus humain qu'un gorille.

Néanmoins, notre plus proche parent vivant est au bord de l'extinction. Et c'est notre faute ! Nous devons vraiment soutenir les populations restantes dans la nature afin qu'elles aient un avenir et que nous puissions continuer à apprendre d'elles sur notre propre passé. Une fois qu'elles auront disparu, nous ne comprendrons jamais comment notre propre évolution a fonctionné. Peut-être même pourquoi nous sommes devenus ce que nous sommes.


A.K.A. : Combien de chimpanzés y a-t-il dans la forêt de Taï ?


R.M. : C'est une excellente question. Les chiffres officiels de l'enquête annuelle de l'OIPR dans le parc ne sont que de 400. Il y a vingt-cinq ans, il restait environ trois mille (3000) chimpanzés dans le parc national de Taï qui est un parc de (4500) quatre mille cinq cents kilo mètres carrés. Avec les 400 (quatre cents) chimpanzés qui restent, nous avons perdu entre quatre-vingt et quatre-vingt-dix pour cent de la population. Nous avons appris que nous devons faire quelque chose pour remédier à cette perte. Nous espérons augmenter à nouveau la population. Comme nous avons plusieurs populations fortes au centre de la zone de recherche, les chimpanzés peuvent repeupler la forêt à condition qu'il n'y ait pas de braconniers, pas de champs et pas de transmission de maladies par les humains.


Cet entretien a été réalisée par Mlle Ange Koné Aminata, Responsable de la Cellule Communication / CSRS.